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Revenir sur le droit chemin ? Il est temps de prendre à nouveau la prévention du VIH au sérieux

Tribune à l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre le sida, le 1er décembre 2024
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La lutte contre le VIH et le sida symbolise les progrès réalisés dans les domaines de la recherche, de l’innovation, de l’activisme et des droits humains. De plus, la Belgique occupe une position unique dans la réponse mondiale au VIH, avec des contributions majeures de chercheurs, militants et défenseurs belges. Il est donc d’autant plus regrettable que le nombre de nouveaux diagnostics de VIH dans notre pays affiche à nouveau une tendance à la hausse pour la première fois depuis longtemps. Cette Journée mondiale de lutte contre le sida doit nous amener à la réflexion: où en sommes-nous aujourd’hui et comment améliorer la situation à l’avenir ?

Une augmentation des cas de VIH

Récemment, Sciensano a rapporté que 665 personnes ont reçu en 2023 un diagnostic de VIH, soit une moyenne de 1,8 par jour, une augmentation de 13 % par rapport à 2022. Pourtant, nous n’avons jamais disposé d’un arsenal aussi large de moyens efficaces pour prévenir le VIH. Il est clair que mettre ces moyens à disposition ne suffit pas : la connaissance, l’accessibilité et l’adaptation aux besoins des groupes cibles sont essentielles. Les représentants de Sciensano et Sensoa ont – à juste titre – souligné la nécessité d’investir davantage dans une meilleure information.

De plus, les préservatifs doivent être moins chers et plus facilement accessibles, et l’accès à la PrEP – la pilule de prévention du VIH qui, lorsqu’elle est utilisée correctement, offre une efficacité proche de 100 % – peut être considérablement amélioré. Cependant, la situation belge n’est pas unique, une tendance similaire à la hausse des infections par le VIH se manifeste également aux Pays-Bas et au Royaume-Uni. À l’échelle mondiale, la prévention du VIH progresse lentement, et les objectifs fixés pour éliminer le VIH comme problème de santé d’ici 2030 sont compromis.

WAD2024-1 À l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre le sida, nous avons organisé, le 22 novembre 2024, notre symposium ‘Take the Rights Path’, où nous avons échangé avec des parties prenantes clés sur une réponse au VIH basée sur les droits humains.

Droits humains et prévention du VIH

Conformément au thème officiel de cette Journée mondiale de lutte contre le sida, l’ONUSIDA souligne depuis plusieurs années l’urgence de continuer à investir dans la lutte contre le VIH comme une question de droits humains. Une raison majeure est l’inégalité croissante dans la pandémie de VIH. Il n’est pas surprenant que les communautés les plus touchées par le VIH soient aussi celles dont les droits sont de plus en plus bafoués. Cela inclut, par exemple, des politiques anti-LGBT, la criminalisation du travail du sexe et de l’usage de drogues, ainsi que les inégalités de genre qui compliquent considérablement l’adaptation des services aux besoins des populations concernées. Aujourd’hui, au moins la moitié de ces “populations clés” n’ont pas accès à des moyens préventifs très efficaces comme les préservatifs et la PrEP.

Les chiffres de Sciensano montrent que les inégalités dans la prévention du VIH risquent également de devenir un problème croissant en Belgique. Par exemple, alors que les personnes d’origine subsaharienne représentaient 27 % des nouveaux diagnostics en 2023, seulement 3 % de toutes les personnes ayant commencé la PrEP étaient d’origine subsaharienne. Une étude de l’Institut de Médecine Tropicale a également montré que plusieurs facteurs structurels entravent l’accès à la PrEP pour les migrants – qui représentent une part croissante des nouveaux diagnostics de VIH. Par exemple, les personnes sans papiers n’ont aujourd’hui aucun droit à la PrEP. En outre, l’organisation des soins pose des obstacles géographiques et financiers, puisque seuls les 12 centres de référence VIH, tous situés dans les grandes villes, sont habilités à initier les traitements par PrEP.

WAD2024-2 Le ruban rouge est le symbole international de la sensibilisation au sida et est porté tout au long de l’année en signe de soutien aux personnes vivant avec le VIH

Inverser la tendance

Pour inverser la tendance, la prévention doit être intégrée dans une approche structurelle et centrée sur la personne, fondée sur le droit à la santé. Les étapes importantes incluent :

  1. Impliquer davantage les prestataires de soins dans la réponse au VIH : outre leur rôle important dans le dépistage, les médecins généralistes pourraient jouer un rôle supplémentaire dans la prescription de la PrEP. Aujourd’hui, ils ne sont pas autorisés à prescrire des médicaments de PrEP remboursés. De plus, à l’instar des modèles de soins pour des maladies chroniques comme le diabète, un transfert de tâches des médecins vers les infirmiers pourrait conduire à des gains d’efficacité tout en maintenant la qualité des soins. L’élargissement de l’offre de soins en matière de prévention du VIH pourrait augmenter la portée.

  2. Éliminer les barrières structurelles au niveau des politiques : un large accès à la PrEP, y compris pour les migrants et les personnes sans couverture maladie, est une priorité. Le Plan VIH belge – soutenu par divers acteurs, y compris les décideurs politiques – le souligne déjà, mais des mesures concrètes restent à mettre en œuvre.

  3. Prendre en compte les structures sociales à l’origine des inégalités: le risque de VIH est influencé par divers facteurs liés à la vie sociale, sexuelle et relationnelle d’une personne. Une meilleure compréhension et reconnaissance des manières dont différentes communautés perçoivent le risque de VIH pourrait aider à développer des stratégies de prévention adaptées, en concertation avec les groupes cibles.

  4. Confronter la stigmatisation et la discrimination : la stigmatisation liée au VIH reste un problème majeur. Par ailleurs, nos recherches ont montré que des préjugés (inconscients) peuvent dissuader les prestataires de soins de recommander et de promouvoir de manière neutre des moyens de prévention efficaces comme la PrEP (par exemple par crainte des effets supposés négatifs sur les comportements sexuels). Sensibiliser et former les professionnels de santé reste donc indispensable.

Après quatre décennies de lutte contre le VIH, l’augmentation récente du nombre de nouveaux diagnostics est une réalité évitable. La Belgique peut s’appuyer sur une expertise de longue date et étendue, fondée sur la science, la collaboration multisectorielle et l’inclusivité. Nous avons les connaissances et les moyens nécessaires pour endiguer définitivement l’épidémie de VIH. La question est : avons-nous également le courage de faire passer la prévention à un niveau supérieur et de lui accorder la priorité qu’elle mérite ?

Jef Vanhamel est médecin et chercheur à l’Institut de Médecine Tropicale à Anvers.

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