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La santé mondiale sous pression après les coupes budgétaires américaines

La sécurité sanitaire mondiale, vaut-elle 0,01 % de notre PIB ?
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Raffaella-Ravinetto Prof Raffaella Ravinetto

Au début du mois de février, il est devenu clair que les États-Unis allaient réduire considérablement leur financement de la santé mondiale. Les réactions du secteur de la santé publique mondiale ont été immédiates. Des programmes clés tels que le PEPFAR, l'USAID, le programme de vaccination contre la polio de l'UNICEF, l'ONUSIDA et son appui au projet d'enquêtes démographiques et sanitaires ont été immédiatement mis en péril. Raffaella Ravinetto, cheffe du département de la santé publique de l’Institut de Médecine Tropicale d’Anvers (IMT), se souvient parfaitement de la première vague d'inquiétude.

« Au sein de notre groupe de recherche sur les systèmes et les politiques de santé, une tempête de discussions s'est ensuivie », explique-t-elle. « Tout le monde essayait de savoir ce qui se passait par l'intermédiaire de collègues et d'amis sur le terrain. Dans des pays comme le Cambodge et l'Ouganda, des chercheurs ont indiqué qu'ils ne pouvaient plus contacter les agences parce qu'elles étaient fermées. Les experts en matière de VIH ont également fait part de signaux similaires. Une sorte de 'bouche-à-oreille scientifique' s’est rapidement mis en place dans lequel nous essayions de reconstruire ce qui se passait. »

Kristof-Decoster-1 Kristof Decoster

Pour Kristof Decoster, policy-advisor au sein du même groupe de recherche, le débat s'est rapidement déroulé dans le cadre de son travail pour la lettre d'information sur les politiques de santé internationales. « Les réactions ont été diverses. Certains ont vu dans cette crise l'occasion d'un deuxième élan de décolonisation de la santé mondiale, dans le prolongement des discussions sur la distribution inégale des vaccins COVID-19. Mais tous s’accordent sur un point : les répercussions, tant à court terme que dans les années à venir, seront lourdes. »

Parallèlement au retrait brutal des fonds des Etats Unis, l'avenir de la coopération au développement suscite de plus en plus d'inquiétudes. Globalement, on observe une diminution des financements, y compris de la part d'autres pays-donateurs, même si elle est moins brutale que celle des États-Unis. Trois mois après l'annonce, des experts comme Ravinetto et Decoster tentent d'appréhender l'énorme coût humain et de se préparer à ce qui reste à venir.

Un système au bord de l'effondrement

« Au départ, on s'inquiète de la situation dans son ensemble », explique Raffaella Ravinetto. « Que se passe-t-il si le financement des programmes de lutte contre la tuberculose ou le VIH diminue ? Une pénurie de médicaments s’ensuit, le nombre de décès augmente et les maladies se propagent plus rapidement. Mais ensuite, on observe aussi des perturbations plus discrètes mais aussi fondamentales. Par exemple, le programme PQM de la pharmacopée américaine (USP), un organisme scientifique indépendant à but non lucratif qui soutient l'assurance qualité des médicaments à l'étranger, risque de disparaître. Avec lui, c'est le soutien aux laboratoires de contrôle de qualité qui disparaîtra.  Cela peut sembler moins urgent que l’accès à des traitements vitaux, mais dans un système qui fonctionne, une assurance qualité est indispensable — non seulement pour fournir des médicaments, mais pour s’assurer qu’il s’agit de bons médicaments. » 

Au fur et à mesure que les ressources se tarissent, les donateurs réorganisent leurs priorités. Selon l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), la sécurité de la santé publique passe par des mesures proactives et réactives nécessaires pour minimiser le danger et les conséquences des crises sanitaires transfrontalières aiguës. Toutefois, selon Raffaella Ravinetto, cette évolution risque de reléguer encore plus à la marge des domaines cruciaux, mais sous-financés. Il s'agit notamment de questions telles que les maladies non transmissibles et les pathologies douloureuses. 

« Qui financera cela si les maladies infectieuses deviennent incontrôlables ? », s'interroge-t-elle. « Même certaines de nos recherches pourraient être considérées comme moins pertinentes. Car si les systèmes de diagnostic, de prévention et de traitement s'effondrent, quel est l'intérêt d'étudier la PrEP pour le VIH ou les protocoles avancés pour la tuberculose multirésistante ? Les gens se poseront des questions : Pourquoi se concentrer sur la recherche pour l'avenir alors que des gens meurent autour de nous aujourd'hui ? »

HIV-medication-1 Médicaments contre le VIH au Pepo La Tumaini Jangwani, programme communautaire de réadaptation des personnes atteintes du VIH/sida (Kenya)

Le prix de la néglicence

Decoster et Ravinetto sont tout à fait d'accord : ne rien faire, signifie non seulement d'énormes souffrances humaines, mais aussi des coûts à long terme beaucoup plus élevés.  Il faut parfois des décennies pour reconstruire des systèmes de santé publique après leur effondrement.

« Il a fallu 25 ans pour que 30 millions de personnes dans le monde aient accès à un traitement contre le VIH », souligne Raffaella Ravinetto. « En combinant traitement et prévention, nous étions presque sur le point d'inverser le cours de l'épidémie. Mais si nous nous arrêtons maintenant, l'impact ne se limite pas à six mois, nous risquons d'être à nouveau ramenés 25 ans en arrière. »

Les conséquences vont au-delà du VIH. Si aujourd’hui nous négligeons le diagnostic et le traitement de la tuberculose, une pandémie de tuberculose multirésistante devient possible.  Le paludisme pourrait également se propager plus rapidement, en particulier avec le changement climatique qui favorise la propagation du moustique du paludisme. Que vous ayez des soucis morales ou pragmatiques, la réalité demeure : si nous cessons d'investir aujourd'hui, cela coûtera non seulement des vies, mais aussi beaucoup plus d'argent à l'avenir.

Gorik-Ooms Le professeur Gorik Ooms est le premier auteur de l'article d'opinion récemment publié dans PLOS Global Public Health.

Pouvons-nous éviter la catastrophe?

Pourtant, des solutions existent. Dans un article d’opinion récemment publié dans PLOS Global Public Health, Gorik Ooms, Ravinetto, Decoster et leurs collègues des institutions partenaires proposent un plan en trois étapes pour stabiliser le financement de la sécurité sanitaire mondiale :

  1. Réapprovisionnement immédiat du Fonds mondial;

  2. Mise en place d'un système de contributions structurées pour le Fonds mondial et les autres initiatives multilatérales;

  3. Réforme des structures de gouvernance des initiatives multilatérals afin qu'elles deviennent plus équitables et qu'elles transcendent la division dépassée entre "donateurs" et "bénéficiaires".

Le Fonds mondial, qui se concentre sur la lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, reste une source de financement essentielle. Avec un objectif de financement de 6 milliards de dollars annuel sur trois ans, il ne représente qu'une infime partie du PIB mondial. Il suffirait d'utiliser 0,01 % du PIB mondial à cette fin pour reconstituer le Fonds mondial, financer l'OMS et Gavi, et injecter un milliard supplémentaire dans le Fonds de la lutte contre les pandémies.

Mais le financement seul ne suffit pas. Comme le soulignent Ooms et ses collègues, l'engagement financier doit s'accompagner de réformes structurelles. Le système actuel de contributions volontaires conduit à des déséquilibres de pouvoir, les pays les plus riches ayant une influence excessive. Le passage à des contributions obligatoires structurées, basées sur le PIB ouvrirait la voie à une approche structurelle de l'"investissement public mondial" adaptée aux défis de notre époque. Ce faisant, une gouvernance équitable est essentielle au sein d'institutions telles que le Fonds mondial, conformément à l'agenda de Lusaka.

Les conséquences des temps d'arrêt

L'absence de financement stable aurait des conséquences désastreuses :

VIH

En 2000, 1 million de personnes recevaient un traitement contre le VIH ; en 2024, elles seront 30 millions. Sans financement, jusqu'à 6 millions de décès supplémentaires et 9 millions de nouvelles infections sont à craindre d'ici 2029. Les groupes marginalisés sont particulièrement exposés, notamment les hommes ayant des relations sexuelles avec d'autres hommes, les travailleurs du sexe, les transsexuels et les personnes de sexe différent.

TB

La tuberculose fait 1,25 million de victimes par an. La réduction du financement se traduirait par une propagation plus rapide des variantes résistantes, y compris en dehors des pays à faible revenu. La recherche sur la tuberculose est souvent menée dans les pays du Sud, mais elle profite au monde entier.

Paludisme

Le paludisme menace la moitié de la population mondiale. En 2023, on dénombrerait 263 millions de cas, dont près de 600 000 décès. Les enfants de moins de cinq ans en Afrique subsaharienne sont les plus vulnérables. Le changement climatique accroît les risques. Il est essentiel de continuer à investir dans la recherche, le diagnostic, la prévention, y compris la vaccination, et le traitement.

Hands-holding-medication-1 « Réduire le financement mondial de la santé ne fait pas que ralentir les progrès. Cela met activement en danger notre avenir. »

Les problèmes mondiaux appellent des solutions mondiales

« Comme l'affirme notre collègue Gorik Ooms, ces réductions ne ralentissent pas seulement les progrès, elles mettent également en péril notre avenir », déclare Raffaella Ravinetto. « Il s'agit notamment des personnes qui ne reçoiveront pas de traitement, de l'augmentation de la résistance aux médicaments, des infections simples qui devienndront mortelles et des maladies qui traverseront les frontières plus rapidement que jamais. Si nous continuons à nous replier sur le "nationalisme sanitaire", où les pays placent leur propre sécurité sanitaire au-dessus de la coopération mondiale, ce sont les générations futures qui en paieront le prix. »

Kristof Decoster confirme que nous ne pouvons plus ignorer l'interconnexion des défis actuels. « La crise climatique et la santé mondiale sont étroitement liées. Nous ne pouvons faire face à l'une sans l'autre. Et si le multilatéralisme n'a pas vraiment produit de résultats suffisants ces dernières années et décennies, par exemple en ce qui concerne les objectifs de développement durable, sans une véritable coopération mondiale en matière de santé, nous risquons de nous retrouver dans un monde où le pouvoir détermine le droit. »

Une voie à suivre, si nous le voulons

Néanmoins, Ravinetto et Decoster restent prudemment optimistes. « La peur pourrait alimenter le sentiment d'urgence », déclare Raffaella Ravinetto, « mais ce n'est pas le seul moteur. Il est encore temps d'inverser la tendance. Si nous agissons rapidement et de manière réfléchie, nous pouvons éviter l’effondrement total. Le déficit budgétair n'est pas insurmontable. Ce qui compte maintenant, c'est la manière dont la communauté internationale déploie les ressources disponibles et la manière dont nous nous préparons pour le long terme. »

Selon elle, une partie de cette préparation réside dans le changement du modèle de financement, y compris une stratégie de sortie bien planifiée. « Prenons l'exemple de Gavi. Il est prévu de transférer progressivement les coûts de certains programmes de vaccination aux pays eux-mêmes. Les gouvernements nationaux ont raison de prendre leurs responsabilités étape par étape: il faut une transition structurée et progressive, et non d'une thérapie de choc. Nous devons redéfinir la coopération mondiale comme une véritable coopération, afin que les pays aient le soutien nécessaire pour devenir autosuffisants, sans être abandonnés sans préavis».

Selon elle, le problème n'est pas l'argent, mais la volonté politique. « Les ressources sont là. Ce qui manque, c'est la volonté politique et l'envie de voir plus loin que les prochaines élections. La santé est un bien collectif et un intérêt partagé. »

Amortisseurs et changements de vitesse

Pour Kristof Decoster, l'espoir de changement réside dans la nouvelle génération. « Il faut espérer qu'au cours de la prochaine décennie, nous verrons apparaître de nouveaux dirigeants, avec davantage de femmes à des postes clés. Cela pourrait conduire à une approche différente de la crise de la santé planétaire, avec les défis interdépendants du climat, de la biodiversité et de la santé publique. » 

« À un moment donné, la génération actuelle de dirigeants cédera la place à de nouveaux. Et peut-être qu'à ce moment-là, les générations futures seront enfin prêtes à s'attaquer à la crise planétaire sans détour ». Pour l'heure, cependant, Decoster admet que la situation planétaire continue de se détériorer, alimentée par des multiples défis écologiques et politiques.

Il cite l'émergence du African Centre for Disease Control (African CDC) comme un exemple positif. « Pendant la pandémie, les CDC africain est vraiment apparus sur le devant de la scène. C'était un pas vers une approche plus régionale et décolonisée de la santé mondiale. Ce type de leadership, ancré localement, légitime et réactif, est conforme au "nouvel ordre de santé publique" préconisé par John Nkengasong, ancien élève de l'IMT, et d'autres dirigeants de CDC africain. Il implique de travailler avec des partenaires à tous les niveaux, mais avec les pays africains clairement à la barre. »

Le message d'Ooms, Ravinetto et Decoster est clair : la situation est grave, mais pas désespérée, à condition que nous décidions d'agir maintenant.

Article complet

Ooms G, Assefa Y, Charalambous S, Dah TTE, Decoster K, de Jong B, et al. (2025) Is global health security worth 0.01% of our gross domestic product? PLOS Glob Public Health 5(5): e0004491. https://doi.org/10.1371/journal.pgph.0004491

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